10 avril 2018 • FED Legal • 7 min

De plus en plus décriés, les panels continuent de gagner du terrain, face aux traditionnels « beauty contest ». 

De l’aveu de l’écrasante majorité des cabinets d’avocats d’affaires basés à Paris, 2018 aura été une excellente année. Le volume transactionnel recensé au sein des multiples structures y a été particulièrement soutenu, et le plus souvent porté par le fort dynamisme du marché tricolore du LBO – et ses 240 opérations comptabilisées par Capital Finance. Un satisfecit généralisé qui ne saurait toutefois cacher la pression qu’exercent les clients sur les facturations des avocats. Le phénomène a explosé en 2008, sur la plupart des practices, et semble vouloir perdurer. « Depuis deux ans, nous avons constaté un léger mieux en matière de fees, mais il est clair que la pression reste forte et que nous n’avons jamais retrouvé les niveaux d’avant-crise. Le volume de transactions permet donc de compenser la perte de valeur », constate un avocat établi au sein d’une grande structure. Chez les corporates, le mot d’ordre est toujours et encore la rationalisation des coûts. Et donc la recherche d’une réduction ou d’une stabilisation de leur enveloppe dédiée aux frais juridiques. De facto, les pratiques consistant à porter des « coups de canif » dans les facturations des avocats n’ont eu de cesse de se multiplier.

 

Panels & Co

Bien connus depuis une quinzaine d’années par les avocats évoluant en banking & finance, les panels en sont l’archétype même. Cette sélection d’un nombre restreint de cabinets avec lesquels le corporate décide de former un partenariat a permis de limiter drastiquement les fees, tout en accordant un volume significatif de travail aux structures choisies. Les banques ont été les premières à utiliser cet outil, avec pour conséquence une marginalisation croissante de la facturation à l’heure au profit du forfait. Un deal win-win jusqu’à la crise de 2008, où certains groupes ont imposé aux law firms des réductions importantes de leur taux pour les rendre éligibles à leur panel. Passés au tamis et pressurisés, certains cabinets ont décidé de fuir méthodiquement ce mécanisme. « Les clients des avocats deviennent de plus en plus exigeants sur les honoraires et la pratique du panel s’est nettement répandue », confirme Marc Bartel, senior client partner chez Korn Ferry France. Les acteurs du M&A, jusque-là adeptes du « beauty contest », ont aussi de plus en plus tendance à succomber aux sirènes des panels. « La plupart des groupes du CAC 40 y ont recours. Les cabinets qui jouent le jeu doivent notamment se plier à certaines obligations de reporting, mais ils bénéficient d’une récurrence de revenus et d’une bonne visibilité », souligne Frédéric Bouvet, managing partner du bureau parisien de Herbert Smith Freehills. Le private equity est pour sa part relativement épargné par cette tendance. Seuls des gérants d’envergure comme KKR ou Carlyle y auraient recours. Pour leurs acquisitions, bon nombre de fonds préfèrent dresser des listes informelles de cabinets d’avocats – lesquels sont alors choisis en fonction de leur réputation, de leur prix… ou de leur affinité avec les cédants. Mais la pression sur les honoraires est là aussi une réalité. « Les fonds connaissent les prix du marché, donc nous nous ‘autocensurons', concède un avocat sous couvert d’anonymat. Par ailleurs, nous sommes de plus en plus souvent contraints de leur offrir la gratuité des due diligences ou des contrats prénégociés liées aux lettres d’offres, lorsque le GP ne parvient pas à conclure sa transaction. »

 

Star à la rescousse

Pour échapper aux fourches caudines des ristournes, les cabinets conservent cependant un levier puissant : le prestige d’une practice et/ou la présence d’une star dans leur rang. Ces personnalités – aussi rares que précieuses avec des facturations dépassant régulièrement les 10 M€ par an – peuvent en effet servir de véritables tremplins à des cabinets souhaitant rebondir ou s’ancrer sur un marché. Lorgnant l’Hexagone depuis des mois, l’américain Kirkland & Ellis aurait ainsi tenté d’approcher David Aknin, l’emblématique associé chez Weil Gotshal & Manges, Thomas Forschbach, l’étoile de Latham & Watkins, ou bien encore Eduardo Fernandez, le co-managing partner du bureau parisien de Willkie Farr & Gallagher. Au final, la firme a ouvert ses locaux dans la capitale début 2019 en s’offrant les précieux services de Vincent Ponsonnaille et de Laurent Victor-Michel, deux piliers de Linklaters. Un nouveau concurrent de poids dans le microcosme parisien. Et Kirkland & Ellis pourrait être prochainement imité par l’une des dernières law firms d’envergure internationale à ne pas encore avoir planté son drapeau à Paris : Sidley Austin. Selon nos sources, ce dernière (originaire de Chicago, comme Kirkland & Ellis) a entamé des discussions depuis plusieurs mois avec des pointures du secteur. La course aux talents n’est donc pas près de prendre fin, même si mener de tels recrutements s’avèrent souvent périlleux. « Ces stars du M&A sont moins nombreuses que par le passé, estime Ian De Bondt, directeur de Fed Legal et associé du groupe Fed. A Paris, les puissantes images de marque dont bénéficient les membres du Magic Circle ont éclipsé celles des individus. » Le coût financier de ces profils talentueux n’est aussi pas négligeable et nécessite parfois de revoir la structure de rémunération pour rester attractif. Les adeptes du « lock-step », basé sur l’ancienneté, ont aujourd’hui presque tous adapté des modèles plus méritocratiques, se rapprochant ainsi du système « Eat what you kill », plébiscité par les américains. A titre d’exemple, Gide – qui a récemment accueilli Olivier Diaz – serait en train de réajuster son modèle de « lock-step » en ce sens.

 

Effet ciseaux

Attractifs vis-à-vis des associés, les cabinets doivent aussi l’être auprès des profils les plus juniors. Les grilles de recrutement pour les collaborateurs ont fortement augmenté au cours des dernières années. « Le mouvement a commencé début 2018 au sein des structures américaines basées à Paris, avec des rétrocessions d’entrée en hausse de 7 à 10 % [Ndlr, atteignant parfois 90 à 95000 € par an]. Les law firms britanniques ont réagi en augmentant de 10 à 15% ces mêmes rétrocessions [Ndlr, jusqu’à 85 000 € par an] », souligne Ian De Bondt. Un effet ciseaux redoutable dans un contexte de pression sur les fees. Et certains grands cabinets tricolores suivent la tendance en ce début d’année. Si les plus petites structures semblent pour l’instant relativement épargnées par ce mouvement inflationniste, des voix s’élèvent déjà pour dénoncer cette dérive au sein des plus grandes structures. « Nos maisons manquent de visions à moyen-long terme, s’exaspère l’un de leurs associés. En suivant les évolutions du marché, nous reproduisons les excès du passé. » Pour autant, rares sont ceux à concéder avoir perdu des points de marge. Quid de ce fragile équilibre en cas de retournement du marché? Une potentielle nouvelle réduction des budgets dédiés aux directions juridiques pourrait encore durcir les conditions des panels, dont peu estiment probable leur disparition. Bien au contraire. « Année après année, les règles de compliance se renforcent et poussent à davantage de mises en concurrence des cabinets. Les opérations hors budgets des grands groupes, comme peuvent l’être les transactions M&A, ont donc vocation à rejoindre progressivement les panels », estime Frédéric Bouvet. 

Source : https://capitalfinance.lesechos.fr/analyses/dossiers/law-firms-des-fees-en-hausse-mais-sous-pression-961683

Publié le 4 février 2019.