Le Hub Ressources Transition a pour objectif de vous proposer, dirigeant, actionnaire, chef d'entreprise ou directeur des ressources humaines, un espace d’échange et de partage autour des grands enjeux de la gouvernance d’entreprise.Denis Pennel introduit son intervention en partageant 5 convictions fortes :
- Nous vivons aujourd’hui moins une crise de l’emploi qu’une révolution du travail, avec un changement structurel dans la relation du travail,
- La population active n’a jamais été aussi hétérogène,
- Le point culminant du salariat a été atteint,
- Emploi et travail ne se recoupent plus,
- Un nouvel âge d’or de l’entrepreneuriat émerge.
1. L'apparition de nouvelles formes de travail
La concomitance d’une situation de chômage de masse et de modifications profondes à la fois de la structure économique et des attentes des consommateurs débouche sur le développement de nouvelles formes de travail et d’emploi.
Ces nouvelles formes de travail incluent par exemple :
- le travail temporaire (1972, loi sur l’intérim)
- le management de transition
- le télétravail (2012, loi sur le télétravail)
- les groupements d’employeur
- le temps partagé
- le portage salarial (2008, 1ère loi)
- l’auto-entrepreneuriat (2009, statut de l’autoentrepreneur)
- les Fab-labs (contraction de l'anglais fabrication laboratory, « laboratoire de fabrication » : petites unités de production pour les personnes qui développent des idées et veulent les produire.)
- le crowdsourcing (utilisation de la créativité, de l'intelligence et du savoir-faire d'un grand nombre de personnes, en sous-traitance, pour réaliser certaines tâches traditionnellement effectuées par un employé ou un entrepreneur.)
L’émergence de ces nouvelles formes d’emploi s’est accélérée au cours du temps, depuis le début des années 90 en particulier.
La photographie du marché du travail français donne l’illusion que les choses changent peu. En effet, en France, sur les 29 millions d’actifs recensés en 2011, 23 millions environ étaient salariés en 2012, dont 16,8 millions CDI à temps plein.
(Cliquez sur l'image ci dessous pour l'agrandir)
Cependant, si l’on s’intéresse aux flux, la situation est très différente.
- en 2014, 80% des embauches sont faites en CDD.
- 1/3 des CDI sont rompus chaque année.
- 1 million d’autoentrepreneurs en 2015.
2. Conséquences sur la relation de travail
Denis Pennel distingue cinq grands types de conséquences probables de cette nouvelle donne sur le modèle de relation de travail.
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Fin du salariat et de la subordination.
La sécurité de l’emploi n’est plus garantie, l’évolution des carrières n’est plus assurée par l’ancienneté, la hausse des cotisations sociales pèse lourd, la répartition des profits se fait essentiellement en faveur des actionnaires. Plus d’un tiers des jeunes veulent être indépendants (source baromètre Ifop 2011). On observe une porosité croissante entre le salariat et le travail indépendant (franchisés, agents commerciaux, tiers-employeur, SCOP, etc.).
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Fin de la relation fusionnelle entre emploi (statut, poste, fonction, salaire, carrière, « faire ») et travail (occupation, métier, activités, rétribution, collaboration, accomplissement, « savoir »).
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Multi-activité.
Aujourd’hui, un emploi peut regrouper plusieurs activités (multi-tâches, temps partagé, prêt de main d’œuvre, groupements d’employeurs). Et un travail peut regrouper plusieurs emplois (TT, crowdsourcing…). -
Human cloud.
Les entreprises pourraient à terme se passer de leurs collaborateurs en piochant en externe les compétences requises à l’instant T. L’accès aux talents n’a jamais été aussi facile grâce aux nouvelles technologies. Le Human Cloud permettra aux entreprises de répondre à leurs difficultés de recrutement (56% des chefs d’entreprise dans le monde déclarent en avoir, source EY « La révolution des mériers » 2014). -
Travail à la demande.
Evolution probable du salariat vers une collaboration entre une entreprise et un travailleur indépendant, avec raccourcissement de la durée de la relation de travail.
3. A quoi ressemblera votre entreprise de demain ?
Selon Denis Pennel, l’entreprise évolue vers quatre nouvelles formes de relation de travail.
- L’entreprise éclatée : le CDI y est réservé au cœur de métier. Puis, le 1er cercle de relation de travail inclut le travail temporaire, le CDD, le management de transition…Le 2nd cercle inclut les CSP, free-lancers, consultants… On observe que l’outsourcing touche déjà tous les pans de l’entreprise, même dans son cœur de métier (source Insee «Enquête Chaines d’activités mondiales » 2011) ; Ex. le 787 Dreamliner de Boeing, dont 70% de la fabrication est sous-traitée.
- L’entreprise en réseau : les collaborateurs exercent autant dans que hors des locaux, ils sont autant fixes que mobiles.
- L’entreprise collaborative : AirBnb a mis 4 ans pour réunir 650 000 chambres dans 192 pays, quand le groupe Hilton a mis 93 ans à se construire (610 000 chambres dans 88 pays). Mais cette économie collaborative ne crée par beaucoup d’emplois (Apple, Facebook et Google : pour un CA de 1 milliard d’euros, n’emploient que 137 000 salariés Vs. Ford Chrysler et General Motors avec plus d’un million de salariés en 1990 pour un CA de 36 milliards de Dollars).
- L’entreprise libérée : source d’engagement : Zappos.com ou Gore Tex ont experimenté le système de l’holacracy : aucun niveau hiérarchique. Les équipes sont formées en fonction des projets, pour donner à tous de la responsabilité.
Conclusion : quels sont les enjeux stratégiques liés à l'essor du nouveau travail ?
- Comment faire travailler ensemble des collaborateurs aux statuts et conditions de travail différents,
- Comment recréer des collectifs de travail pour des travailleurs nomades ou temporaires ?
- Comment attirer les meilleurs talents dans un monde virtuel et globalisé ?
- Comment démocratiser le fonctionnement de l’entreprise ?
- Comment éviter que vos activités ne se fassent uberiser ?
Cet article a été inspiré de la première rencontre du Hub Ressources Transition, qui s'est déroulé le 18 juin 2015 à Paris.
Q&A's
<Question : « Y-at-il des différences entre ces évolutions du travail d’un pays à l’autre ? »
Denis Pennel : « La France est en retard. Les plus avancés dans le processus sont le Royaume-Uni ou les Etats-Unis (aux USA, 40% des travailleurs ne sont pas en CDI à temps plein). Aux Pays-Bas, également, 40% des salariés sont à temps partiel.
Question : « En France, existe-t’il une aversion culturelle au risque avec 6 millions de fonctionnaires ? »
Denis Pennel : « Oui, deux acteurs freinent en premier lieu : les syndicats. Et les pouvoirs publics. Le gouvernement n’a aucun intérêt à favoriser cette évolution car il percevrait moins de recettes liées aux cotisations salariales et sociales. Mais c’est un contre-sens historique de la part des syndicats : Marx était l’opposant le plus ferme au salariat, pour qui c’était la forme ultime de l’asservissement. »
Question : « Dans les entreprises libérées, on peut avoir plusieurs rôles dans l’entreprise en même temps, qui sont décidés par les groupes projets. Comment organiser ça de manière contractuelle ? C’est infernal, le contrat de travail français est trop rigide pour s’adapter à ça. »
Denis Pennel : « Oui, Monsieur Badinter a dit très récemment que le Droit du Travail en l’état tue le travail. Le contrat de travail devrait être largement allégé et flexibilisé pour se prêter à l’évolution des modes de travail. »